gobelet

On ne se doutait pas en quittant la Jarry que traverser Vincennes nous prendrait une bonne heure, même en stop, même en jupe. Bien sûr, il était une heure et demie du matin, mais ça, ça nous passait au dessus. Parce qu’après deux heures dans un ersatz d’appartement surchauffé, rejoindre Nemours représente pour nous la dernière nécessité à la mode. Deux voitures plus tard, à vive allure sur le périph, notre hôte nous annonce qu’il nous déposera à la prochaine station essence, on va pouvoir rejoindre la nationale plus loin. On acquiesce presque gentiment à l’arrière, parce que faire du stop, ça reste quand même un brin gênant, surtout quand le conducteur et le passager parlent dans une langue qu’on ne comprend pas, et qu’ils nous zieutent dans le rétroviseur toutes les deux minutes pour vérifier qu’on ouvre pas une bière au dessus de leurs sièges en cuir. Sauf qu’on ne s’imaginait pas qu’à deux pas de la pompe à essence, la passagère maghrébine me dirait à voix basse « j’veux que vous me rendiez un service, je vous demande d’accepter ça », en me fourrant un billet bleu dans la main. Même pas le temps de protester, de toute façon la faim est plus forte que la honte, et on monte dans la troisième voiture un sandwich au thon en poche. Dans la forêt de Nemours, on croise deux biches et un punk ivre mort, et on termine affalées sur une couverture de survie, fusillant du regard les zèbres qui ont la force de tenir debout. Le lendemain matin, même le coca du distributeur de la gare n’efface pas l’affront de m’être fait indiquer le chemin du retour par un cavalier de sept ans.

Samedi 8 janvier 2011 à 3:18

Avec petite sœur, on comprend pas trop pourquoi maman a le ventre si rond, mais il parait qu’on va avoir un petit frère. On est à center parcs parce que papa est riche, en Dordogne, ou en Bourgogne, ou quoi que ce soit qui se termine par -ogne, comme grogne. On est du genre à ramasser des châtaignes, qu’on appelle des marrons, et de toute façon on a encore du mal à faire la différence entre les deux. Pendant nos quatre jours là bas, on a regardé the mask trois fois en deux jours, on a glissé sur le toboggan magique de la piscine chauffée, on est passées de la piscine intérieure à la piscine extérieure par le trou dans la vitre, et maman a pris des photos, c‘est toujours maman qui prend les photos. Sauf que nous, tout ce qu’on voulait, c’était faire un tour dans la petite voiture de golf des saisonniers, et être prévenues que six ans plus tard, on haïrait notre frère d’avoir grandi si vite, troquant son siège auto pour bébé - si confortable en appuie-tête - contre un rehausseur nous rentrant dans les hanches. On aurait aussi aimé savoir, avant de se payer la tête du gamin toujours au milieu dans la voiture, qu’il pourrait nous mirer le haut du crane avant ses quinze printemps, et nous mettre à terre en deux coups de cuillère à pot. Géniteurs, merci.

Dimanche 26 décembre 2010 à 3:01

Moi je pensais que c’était écrit sur nos gueules: « étudiantes à mi-temps et pauvres à temps plein », mais visiblement le blondinet de AIDES ne savait pas lire. Comme tous les gens qui interpellent les piétons devant la gare, sous la pluie et dans un ciré rouge hideux, il souriait des lèvres et des dents, mais ses yeux criaient « tu. er. TU. ER ! ».  Après une vaine tentative d’esquive, on se retrouve embarquées dans une conversation à sens unique, les contresens de j. « c’est pour le sida c’est ça ? » ne décrispent pas l'olibrius, parce que non, pauvre idiote, c’est contre le sida qu’on lutte.  Blondie comprend finalement qu’on n’a pas un sou, ni en poche ni dans un coffre à Gringotts, et se lance dans une leçon de morale ou je ne m’y connais pas, pour finalement nous hurler dans un hoquet de rage de retourner sur notre planète, nous, extra-terrestres des bas fonds.  Heureusement  qu’il y a  médecins du monde, les garçons en bleus nous demandent si on va en teuf, et vont demander à la pharmacie du coin le mot « homéopathie » pour sauver nos cerveaux en ébullition. D’un autre côté, le bleu est bien plus seyant, et l’homéopathie c’est comme l’hypnose, personne n’y croit mais ça marche quand même.

Vendredi 10 décembre 2010 à 20:08

Rosé dans la poche et écharpe dans les narines, nos grandes gueules nous valent un royal cheese gratuit. C’est vrai que dix minutes à entendre deux pochardes brailler « à partir de 3 minutes c’est plus un fast food! » ça vous change une employée en furie ; heureusement pour nous, même à Pigalle, le client est roi. On a tout ce qu’il faut de chouchen, on se croirait presque en bretagne, et alors qu’on prendrait la table pour un bateau, « excusez moi mais il va falloir que vous partiez, ça commence à sentir » qu’il dit, le cerbère de l’enseigne. Moi ça me dérange pas trop, dix minutes que je pense à la cousue/bière, les gens qui sont dehors vont aux folies bergères ou au moulin rouge, la loco existait encore mais personne n’y allait, de toute façon il faut le dire, Pigalle c’est blindé de putes. Deux mois avant, à Vaugirard ou ailleurs, on avait trouvé du tabac, du tabac à pipe. Par terre. Deux mois qu’on cherchait la pipe assortie. On cherche mais comme on trouve pas, on se retrouve dans une ruelle du 18ème,  à donner du feu à un blanc bec qui promène son dalmat. Un mercredi soir traditionnel en somme, si le très collet monté parisien n’avait pas profité d’un instant de flottement pour nous saluer d’une ventosité peu orthodoxe, nous laissant nous vautrer dans une hilarité délétère et sur le trottoir sale.
Deux heures plus tard, on est comme six cons à se relayer pour aller supplier le barman de nettoyer la flaque de vomi à nos pieds, parce qu’autant inonder les toilettes du mcdo de vinasse bon marché, passe encore, mais dégobiller à la boule noire, c’est vraiment déplacé.

Mardi 30 novembre 2010 à 22:37

J’ai deux mains gauches mais je ne suis pas ambidextre, je tiens l’alcool mais mon estomac non, et quand j’étais petite, je trouvais que cinquante ans était l’âge parfait pour recevoir l’extrême onction. Je voudrais mettre du rouge à lèvres carmin, seulement parce que carmin est un joli mot, et quand je lis mes chouettes listes de vocabulaire magique à maman, je fais un four, parce qu’elle préfère s’occuper de faire cuire les aubergines sans matières grasses pour le régime de petite sœur. Elle me demande de l’appeler quand j’arrive à la gare, ce qui me semble être  une futilité incroyable: mon portable n’est là que pour recevoir des messages téléphoniques éplorés de gens qui ne savent pas où est leur fils, ou d’un pauvre gars qui le dimanche matin, ne sait pas quoi faire du corps alcoolisé qui traine dans sa voiture.

Mardi 16 novembre 2010 à 14:02

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