gobelet

Après une heure et demie de morphologie lexicale dans une salle parfumée au fauve, le mot « nicotine » clignote devant mes yeux comme une mauvaise blague. C'est donc tout naturellement que je me retrouve à aller acheter ma drogue par paquets de vingt. Mon train entre en gare, et je commence à piétiner quand la délivrance arrive avec le « suivant ! » du buraliste. C'était sans compter sur l'obscénité du bougre qui me dévisage et se permet de me demander en comptant mes pièces jaunes si le nombre de mes piercings augmente en comptant celui que j'ai -peut-être- sur la langue. Lui ayant répondu par la négative, j'attends ma monnaie en m'efforçant de rester patiente, mais mon air de « me cherche pas » ne suffit pas à rebuter le bonhomme, qui me lance un « dommage... » suggestif, suivi d'un « c'est sympa pourtant, surtout à un moment précis... ha ha ha ! » Le genre de phrase qu'on accompagne d'un « si tu vois ce que je veux dire » tonitruant et d'une œillade appuyée. Finalement, le buraliste de la gare est un peu du même acabit que ce mec qui se prend une décharge en démontant un néon dans le RER C un dimanche matin, pour épater deux gonzesses qui avaient d'autres chats à fouetter. Mais le buraliste, lui, risque bien moins que quelques volts. Il ne s'expose qu'aux regards outrés de fumeuses aux dents jaunes, peut être à une insulte ou douze, et au pire des cas à la perte de son travail, ce qu'il ne  comprendra même pas, puisque son boulot se résume à terroriser sa clientèle féminine avec des sous-entendus qui n'en sont pas.

Lundi 24 janvier 2011 à 22:35

On ne se doutait pas en quittant la Jarry que traverser Vincennes nous prendrait une bonne heure, même en stop, même en jupe. Bien sûr, il était une heure et demie du matin, mais ça, ça nous passait au dessus. Parce qu’après deux heures dans un ersatz d’appartement surchauffé, rejoindre Nemours représente pour nous la dernière nécessité à la mode. Deux voitures plus tard, à vive allure sur le périph, notre hôte nous annonce qu’il nous déposera à la prochaine station essence, on va pouvoir rejoindre la nationale plus loin. On acquiesce presque gentiment à l’arrière, parce que faire du stop, ça reste quand même un brin gênant, surtout quand le conducteur et le passager parlent dans une langue qu’on ne comprend pas, et qu’ils nous zieutent dans le rétroviseur toutes les deux minutes pour vérifier qu’on ouvre pas une bière au dessus de leurs sièges en cuir. Sauf qu’on ne s’imaginait pas qu’à deux pas de la pompe à essence, la passagère maghrébine me dirait à voix basse « j’veux que vous me rendiez un service, je vous demande d’accepter ça », en me fourrant un billet bleu dans la main. Même pas le temps de protester, de toute façon la faim est plus forte que la honte, et on monte dans la troisième voiture un sandwich au thon en poche. Dans la forêt de Nemours, on croise deux biches et un punk ivre mort, et on termine affalées sur une couverture de survie, fusillant du regard les zèbres qui ont la force de tenir debout. Le lendemain matin, même le coca du distributeur de la gare n’efface pas l’affront de m’être fait indiquer le chemin du retour par un cavalier de sept ans.

Samedi 8 janvier 2011 à 3:18

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